"Les CCC des années 80 sont toujours actives "

Gilbert Dupont, La Dernière Heure

 

"Les années ont passé mais leurs convictions sont restées. Si Pascale Vandegeerde est décédée et si Didier Chevolet a tourné la page, les deux autres des Cellules Communistes Combattantes, Pierre Carette, 72 ans, et Bertrand Sassoye, 61 ans, continuent dans leurs idées."

 

On a célébré, le 1er mai, le souvenir de Marcel Bergen et Jacques Van Marcke, deux pompiers bruxellois tués dans l'attentat à la camionnette piégée perpétré rue des Sols, à Bruxelles, près du siège de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique), dans la nuit du 1er mai 1985, par les CCC.

 

Quarante ans après, l'ancien journaliste Paul Ponsaers, dans un livre qu'il publie aux éditions Borgerhoff & Lamberigts, affirme que les membres des CCC "nog steeds actief zijn" : sont toujours actifs. "Ce n'est pas innocent que Pierre Carette et Bertrand Sassoye poursuivent leur propagande au travers d'une association qu'ils ont appelée "Classe contre classe". Regardez les initiales. Le choix n'est pas un hasard."

 

Pour Paul Ponsaers, "Classe contre classe" n'est pas seulement un rappel aux CCC des années 80. Il atteste que "l'idée de tensions et de lutte est toujours bien présente. Le monde a changé depuis quarante ans, mais pas leurs idées. Même s'ils ont renoncé à la violence sans cependant l'avoir beaucoup proclamé, ils continuent de chercher le conflit social".

 

Dans ce livre, aboutissement de trois ans de recherche, Paul Ponsaers démystifie les années 1980 et retoque l'opinion selon laquelle les CCC auraient été un instrument de la stratégie de la tension à l'italienne par le biais d'attentats commandités de l'étranger - soyons clair, par les États-Unis - dans l'objectif de provoquer par réaction en Belgique un glissement de l'opinion vers un régime plus autoritaire.

 

Ponsaers rappelle le vol des armes dans la caserne des Chasseurs ardennais à Vielsalm, en 1984. À l'époque, ce vol d'armes a fait croire à cette stratégie de la tension. "Or il est clair aujourd'hui qu'il a été commis par les Français d'Action Directe Jean-Marc Rouillan et probablement Nathalie Ménigon, avec Carette et Bertrand Sassoye qui avait à peine 20 ans et avait déserté du 3ème Chasseur ardennais à Vielsalm. A mon sens, les CCC n'auraient pas existé sans Action Directe et la Rote Armee Fraktion allemande".

 

Quatre ans plus tôt déjà, le 25 juin 1979, une bombe avait explosé au passage de la voiture du général américain Alexander Haig qui se rendait à son bureau du Shape à Casteau, près de Mons. Le général s'en était sorti indemne mais l'engin avait fait deux blessés. Il faudra attendre la chute du Mur de Berlin, en 1989, pour établir, grâce aux archives accessibles de la Stasi, les responsabilités de la Rote Armee Fraktion. Encore une fois, donc, les Américains n'étaient pas aux commandes de ce terrorisme. De même, les six attentats de décembre 1984 contre les pipelines de l'OTAN ne s'inscrivaient à l'évidence pas dans une stratégie de la tension. Les CCC ne furent jamais un instrument de cette stratégie qui avait bien cours, par contre, en Italie.

 

Avec les CCC, il s'agissait plutôt, analyse Paul Ponsaers, d'un communisme combattant pro-maoïste. Maoïste comme l'était l'avocat bruxellois (1939-2015) Michel Graindorge qui "avait pour le moins une attitude ambiguë. Les deux, Graindorge et Carette, se connaissaient d'ailleurs de très près, depuis longtemps, au travers les comités pour la défense des droits des prisonniers politiques".

 

Pour Paul Ponsaers, Carette et Sassoye, maoïstes, ont viré "grippistes", du nom du communiste belge Jacques Grippa (1913-1990), membre de la direction bruxelloise du PC, grand résistant, arrêté par les Nazis et torturé au fort de Breendonk, finalement exclu du parti en 1963 pour avoir soutenu Pékin contre Moscou.

 

"Ils partagent cette croyance que la démocratie et le parlementarisme ne fonctionnent pas, et que c'est le parti qui doit gérer la société. Ce qu'il faut comprendre, c'est que si la Révolution française par exemple est partie du peuple, leur croyance à eux est que la révolution doit partir d'une avant-garde, la leur. À mes yeux, ils cherchent encore toujours aujourd'hui à récupérer des âmes. Carette parle toujours d'ailleurs des CCC au pluriel. Il m'apparaît comme un gourou à la fois sectaire, sans humour et très dogmatique, à la recherche aussi d'un successeur "

 

"Au-delà de quelques excuses", Paul Ponsaers dit n'avoir "guère vu de repentirs, remords et regrets envers les victimes de la vingtaine d'attentats perpétrés en 1984 et 1985. Il n'y a pas eu seulement ces deux pompiers tués le 1er mai 85. On oublie qu'à Vielsalm, ils ont tiré sur un soldat qui a été blessé par balle et que dans plusieurs des attentats visant des bâtiments, il y avait des concierges et leurs familles auxquels ils ont fait courir des risques énormes. On oublie, enfin, qu'ils projetaient d'enlever Mark Eyskens et Albert Frère comme l'a fait la RAF avec Hans-Martin Schleyer et Action Directe avec George Besse".

 

Paul Ponsaers s'est heurté à un refus quand il a sollicité Pierre Carette. "Il m'a répondu : La vérité des CCC sera reflétée dans les faits et documents de l'époque compilés dans le livre "Textes de lutte " (1988). Dès lors, votre projet est superflu et inévitablement malhonnête".

 

Ancien journaliste au "Morgen", l'auteur fut, dix-huit ans durant, professeur de criminologie à UGent après avoir été, de 1989 à 1998, au ministère de l'intérieur, attaché au Service général d'appui policier. Son enquête de 380 pages : "Rouge sang, comment les CCC semaient la terreur dans les années 1980 et sont toujours actives", doit encore être traduite.